Il était une fois, il y a très longtemps, un homme qui ne savait ni lire ni écrire. D’ailleurs les mots « lire » et « écrire »
n’existaient pas. Pas davantage qu’aucun autre. Pour s’exprimer, pour raconter, pour vénérer, il inventa le dessin
Depuis les plus anciens témoignages connus de l’art rupestre jusqu’à la concurrence acharnée des éditeurs new-yorkais à l’aube du XXe siècle, les étapes qui jalonnent l'histoire de la BD confirment l’adage populaire selon lequel « rien ne se crée, tout se transforme ».
La bande dessinée n’est pas le fruit d’une découverte. Elle est le résultat d’une complicité toujours plus forte entre le désir de raconter et l’art de dessiner. Elle est le plus littéraire des arts plastiques.
Peintres, mosaïstes, sculpteurs, enlumineurs ou tisserands ont usé de leur génie à travers les temps pour interpréter le récit et créer le mouvement.
Depuis qu’ils se tiennent debout, c’est sur tous les supports possibles que les humains ont raconté, expliqué ou vénéré leurs idoles. Traversant les siècles, les récits qu’ils mettent en scène témoignent de la société dans laquelle ils furent créés, de leurs croyances et de leur culture.
En Europe, c’est l’homme de Cro-Magnon qui va commencer à peindre sur les murs des grottes il y a 30.000. Celui qui a peint cet animal a voulu le représenter en mouvement. Il a utilisé les creux et les bosses de la grotte afin de donner une impression de volume.
Même après l’invention de l’écriture, l’homme a continué de raconter des histoires en images. Dans les temples égyptiens, on trouve de nombreuses fresques qui racontent des évènements historiques et mythologiques.
Les civilisations grecques et romaines vont produire beau- coup d’images. Fresques, mosaïques, vases vont se couvrir de représentations d’évènements historiques, de moments de la vie des dieux ou de hauts faits des empereurs.
Fresque du temple de Beit el-Wali, décrit l’expédition de Ramsès II en Nubie, au sud de l’Egypte, British Museum, Londres
La tapisserie de Bayeux serait-elle la première bande dessinée?
la Tapisserie de Bayeux qui, sur près de 70 mètres, célèbre la conquête de l'Angleterre par Guillaume le Conquérant, avec force vaisseaux, chevaux et scènes de batailles entre Normands et Saxons. Réalisée vers 1070, cette première BD franchit ensuite les dix siècles suivants la tête haute pour arriver pratiquement indemne jusqu'à nous. Sur quelque 70 mètres, la tapisserie relate en détail les préparatifs de la conquête de l'Angleterre (entre 1064 et 1066), le débarquement des troupes normandes et françaises en Angleterre (les 27 et 28 septembre 1066) et enfin la bataille de Hastings (le 14 octobre 1066). La France étant à l'époque une nation voisine, les Français viennent soutenir les Normands contre les Anglais, par solidarité entre voisins.
Les incunables inventent la grammaire de la BD
Au Moyen-âge, en Europe, on voit se développer le manuscrit. La religion catholique est une religion qui s’appuie beaucoup sur l’image car beaucoup de gens ne savent ni lire ni écrire, à l’époque. Dans les monastères chrétiens du Moyen Age, des moines copistes consacraient leur vie à reproduire les textes sacrés de leur religion. D’autres embellissaient ces éditions uniques en y créant des enluminures et illustrations rendant grâce à leur Créateur. Sans le soupçonner, ils inventèrent la plupart des codes qui permettent aux dessinateurs d’aujourd’hui de donner vie à une bande dessinée : découpage du récit en cases, mouvement, avant-plan, dialogues en phylactères, etc.
Psautier de Canterbury, enluminure de la fin du XIV, Catalogne.
L’imprimerie permet de toucher le grand public
L‘apparition des gravures, des livres publiés, des journaux et des chromos vendus dans les foires permit d’atteindre un public nombreux. Maîtres de leur art, l’anglais William Hogarth(1697-1764) et le japonais Katsushika Hokusai (1760-1849) racontaient des histoires en une succession de gravures ou d’estampes. Ils sont des jalons essentiels dans l’histoire de cet art naissant, à l’instar du suisse Rodolphe Töpffer qui enseignait si bien le mouvement à ses élèves. L’imprimerie apparait en Chine dès le XIIème siècle et en Europe vers 1450 inventée par Johannes Gensfleisch, plus connu sous le nom de Gutenberg.
HOKUSAI,
« La grande vague au large de
Kanagawa »,1831, gravure sur bois,
estampe, 25 x 37 cm, MOMA, New
York
Hokusaï est reconnu comme le père du Manga, mot qu’il a inventé et qui signifie « esquisse
spontanée, dessin au fil de la pensée », utile à l'apprentissage du dessin et des techniques en
peinture. Il publie sa « manga » : nom qu’il donne à ses carnets de croquis publiés en 1814 et
qui rencontrent un grand succès parmi les amateurs (et acquéreurs) d'art du 19ème siècle.
Pédagogue, écrivain et politicien suisse, Rodolphe Töpffer (1799-1846) est un jalon essentiel dans la conception de la bande dessinée. Il en est le premier théoricien. A partir de 1827, il commence à créer, à l’intention de ses élèves, des histoires illustrées dont le caractère inédit, au-delà du style original de son trait, repose sur une nouvelle manière d’articuler textes et images montées en séquences. Il excelle notamment dans le découpage du mouvement.
L’œuvre de Töpffer est un passage essentiel entre les temps anciens et celui de la publication en journaux et albums.
Au XIXe siècle, les journaux racontaient des histoires
Dès le XIXe siècle, Le XIXe siècle est l’époque de l’alphabétisation. Le lectorat se popularise et permet l’émergence du journalisme de masse. La presse grand public à prix modeste se développe. Les journaux et magazines avaient compris que pour vendre de la publicité aux annonceurs, il fallait réunir le plus grand nombre possible de lecteurs. A côté du roman-feuilleton qui tient en haleine, on découvre des humoristes, des caricaturistes et les premiers héros récurrents, tels que Ally Sloper en Angleterre ou Max und Moritz en Allemagne, dont les aventures se découpent en récits dessinés.
Le strip
Associé généralement à la presse quotidienne, le strip est une bande de dessins alignés horizontalement. Parfois verticalement. De la situation initiale à la chute, il est constitué d’une séquence de trois ou quatre images. Il a pour vocation de faire sourire le lecteur, comme une bouffée d’oxygène entre deux faits d’actualité.
La bande dessinée devient un enjeu économique
A l’heure où nait le XXe siècle, les éditeurs américains Pulitzer et Hearst poussent la logique économique à son paroxysme. On débauche chez l’autre les meilleurs éléments, journalistes ou dessinateurs.
C’est une véritable guerre que se livrent les deux magnats de la presse Joseph Pulitzer (New York World) et William Randolph Hearst (New York Journal), modèle du Citizen Kane de Orson Welles. Pour être le premier journal des Etats-Unis, tous les coups sont permis : incendie « accidentel » de dépôts de livraison, grèves « spontanées » et débauchage généralisé. L’enjeu est purement économique. Le plus fort générera le plus de revenus, notamment publicitaires.
Winsor McCay, De Little Nemo à Gertie le dinosaure
Décorateur de parcs d’attractions et dessinateur forain avant de travailler pour les journaux, Winsor Mc Cay (1869-1934) a marqué – à égalité – l’histoire de la bande dessinée et celle du cinéma d’animation.
Dans “Little Nemo in Slumberland”(1905) dont le style est si proche de l’Art Nouveau mis en oeuvre par Victor Horta à Bruxelles, chaque matin, le petit Nemo tombe du lit après avoir rêvé de villes en hauteur, de princesses éphémères et d’animaux rutilants. C’est une oeuvre magistrale sans cesse redécouverte. Elle aurait suffi à la gloire de McCay. Mais son génie défrichait déjà d’autres voies comme le dessin animé.
Mais alors, c’est quoi la bande dessinée ?
Résultat d’une évolution artistique aussi ancienne que l’humanité, nourrie et enrichie de chaque culture... et de quelques révolutions technologiques tels que l’apparition du papier, des couleurs ou de l’imprimerie, qu’est-ce donc finalement qu’une bande dessinée ? La réponse tient en quelques mots : une bande dessinée, c’est une suite d’images qui forme un récit et dont le scénario est intégré aux images. A partir de là, c’est l’imagination et le talent des auteurs qui font le reste !
Vraiment, c’est le génie des créateurs de BD qui permet à chaque lecteur de créer son propre récit à partir des éléments mis en place par l’auteur. Qui imagine le son d’une voix, le mouvement d’un véhicule, la température d’un paysage ou encore tout ce qui n’est pas dessinée entre deux cases ? C’est le lecteur. Et ce qu’il lit n’appartient qu’à lui.
Textes extraits du dossier pédagogique du Centre Belge de La BD: